Des histoires brèves, réalistes, trash, loufoques ou poétiques, pour apprivoiser l’ombre du crime et de la mort. Certaines écrites comme on parle, d’autres comme on cauchemarde… Une traversée des genres pour explorer toutes les couleurs du sombre.
Pirates, savants fous, psychopathes, conjoints, parents, enfants, assassins de tous bords… Qui sont au fond les personnages les plus inquiétants ?
Sommaire
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Le belvédère des à-valoir
Faire la mort
1- Rue Meurtre
2- Noël en kit
Casse-toi !
Chair fantôme
La liste : Lire sur Réfractions
Masque, cul, l’un
La nuit des têtes
La nef des sourds
Ce regard-là !
Éteignez la lumière !
Fondu au noir : une critique de Jocelyne Hubert
Double Marge : une critique de Francine Klajenberg
Témoignage Chrétien : une critique de Arnaud de Monjoye
Éteignez la lumière ! Et autres sombres histoires est une mosaïque de nouvelles aux tons très différents. Parmi elles, l’une tranche sur les autres et s’apparente à un court roman : Chair fantôme.
Le texte est une plongée dans les traumatismes infantiles que l’on traîne après soi toute une vie. L’enfance, avec son cortège de blessures, de déceptions, d’impuissance face aux dictats des adultes.
La nouvelle est construite comme une tragédie classique, un prologue et trois actes. On se doute donc que ça se finira mal. Le prologue plante le décor ; la mère a un cancer du sein. La petit-fille a neuf, dix ans, ses parents sont séparés, on lui apprend à survivre et non à vivre.
Malgré son caractère bien trempé et son aptitude à se défendre contre les contrariétés du quotidien, la petite jamais nommée est prise dans les attentes des adultes. Elle fonctionne sur le mode survie que lui a appris sa mère, comme pour se préparer à la guerre. Les enfants s’adaptent à tout, même au malheur. « Je fais ce qu’on me dit. Ni cris, ni scène, ni caprice, jamais. » Ce langage de l’enfance à la résonance émouvante n’est pas sans nous rappeler Le Petit Nicolas de Sempé. Le ton est ironique pour dénoncer les mensonges des adultes.
La petite fille ne peut pas grandir, même si elle prend sur elle pour dédramatiser des situations douloureuses. On assiste, impuissant, à sa mort psychique. On retrouve là le mythe de Médée ; sa mère finira par lui enlever toute raison de vivre. « Je veux juste être gentille et ne déranger personne. (…) Ça fait combien de temps que je n’ai plus joué à marcher sur un muret ou à grimper ? Que je n’ai plus ni ri ni pleuré ? Ni ressenti quoi que ce soit ? »
Élise Fugler a une sensibilité à fleur de peau. Elle tient en joue les trop-plein émotionnels dans une attitude frondeuse. Elle nous invite à suivre pas à pas le monde de la pensée enfantine avec une grande pudeur, à exprimer les blessures tues.
« Laisse pas tomber maman ! Surtout ne laisse pas tomber ! »
Francine Klajnberg
Éteignez la lumière ! Et autres sombres histoires, Élise Fugler, Après la Lune, 2020
Un père qui s’effiloche de semaine en semaine, au rythme des allers et retours de sa femme ; un écrivain qui rêve de fructueux à-valoir ; un savant dans une station qui tourne autour de la Terre, insomniaque, rêvant « d’air pur et de nuit sans Lune » ; un vieil hacker anarchiste ; une fillette qui passe ses vacances dans une colonie pendant que sa mère agonise ; des matelots d’infortune abandonnés à la disgrâce des hommes et à la grâce de Dieu sur un rafiot pourri ; deux serial killers qui se cherchent et finissent par se trouver ; un couple qui règle ses comptes en s’offrant des cadeaux pour mieux les briser ; une jeune femme dont la laideur décourage même la mort ; des chasseurs chassant des têtes la nuit pour honorer un roi mort à l’aube ; un marginal s’expliquant avec de jeunes cinéphiles dans une rame de métro…
Ces onze nouvelles disent les étranges pulsions qui nous habitent et nous submergent quand les lumières de la normalité et du confort éclatent brutalement. Flirtant avec divers genres, polar, science-fiction, aventure, drame familial, ces histoires marquent, chacune à leur façon, les frontières de nos imaginaires collectifs, mais c’est pour mieux les masquer, quand la proximité entre personnages et situations devient promiscuité et que, dès lors, il n’y a plus de retour en arrière possible. Chacun devient errant dans sa propre vie et s’en tire comme il peut : fuite en avant, passage à l’impensable, immobilisme. Mais l’auteure, Élise Fugler, nous prévient d’emblée, ce genre d’histoires sont « À savourer dans le noir » et le titre du recueil, Éteignez la lumière !, est une malicieuse invitation à redécouvrir ces « démons de la perversité » qui hantent depuis longtemps nos émotions individuelles et collectives.
Arnaud de Montjoye
« Je n’ai jamais écrit de nouvelle, n’ayant de temps ni à perdre , ni à faire perdre[…], c’est là selon moi , un genre périmé. »
André Breton avait tort : pas périmée du tout, la nouvelle est partout présente et le recueil de sombres histoires, imaginées par Élise Fugler le prouve : protéiforme, la nouvelle ne vous fera pas perdre du temps, disons plutôt qu’elle vous en fera gagner parce que « plus resserrée, plus condensée, [elle ] jouit des bénéfices éternels de la contrainte : son effet est plus intense. (Baudelaire, in L’art Romantique et ce ne sont pas les nombreux cinéastes qui ont adapté les nouvelles de Poe et Maupassant qui diront le contraire).
La gamme des effets est large. On trouve ici treize « récits brefs », de longueur variée (de 5 à 70 pages environ), le plus souvent à la première personne, masculine, féminine, voire enfantine : exercice de style le plus casse -gueule qui soit (n’est pas Ajar, qui veut, n’est ce pas Eric Emmanuel Schmitt ?). La narratrice de La Chair Fantôme est une petite fille que l’on placerait volontiers dans la famille littéraire de Scout. La nouvelle la plus longue, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, est découpée en trois parties encadrées d’un prologue et d’un épilogue. Dédiée… « à Médée » elle est d’un réalisme tragique ! La plus poétique est celle dont la première partie est dédiée « à Maïakovski », et la deuxième « au Père Noël ». Le tout s’intitule Faire la mort, réjouissante histoire de psychopathes. Élise Fugler s’amuse. Elle nous avait déjà bien amusés avec son premier roman Les frigos ont horreur du vide (quel titre!). La 13e et dernière nouvelle qui donne son titre au recueil : Eteignez la lumière ! Est dédiée, elle, « aux amateurs du noir »… qui apprécieront certainement l’hommage loufoque à Godard dans Masque, cul, l’un et celui – pathétique – « à Personne… » dans La nef des sourds.
Il arrive que les 4e de couv’ disent la vérité. Celle de ce recueil invite à « une traversée des genres pour explorer toutes les couleurs du sombre. »
Jocelyne Hubert
Élise Fugler, Éteignez la lumière ! et autres sombres histoires, éditions Après la lune, 2020, 191 pages, 12 Euros.
Histoires d’outre-clarté
Élise Fugler, Éteignez la lumière ! Éditions Après la Lune, Kierol 24, 190 p., 12 €
les livres du printemps