Le Poulpe : 22 mars 2000

22 mars 2000 : c"est un beau jour pour Gabriel

Un recueil de nouvelles de dizaines d'auteurs différents dédié aux 40 ans de Gabriel, le personnage principal de la collection phare de feu les éditions Baleine : "le Poulpe" et à son univers. La mienne, "Papa Poulpe" est ci-dessous.

 

PAPA POULPE

 

Quarante ! Il s’en était souvenu comme ça, dès le réveil et il s’était tourné vers Cheryl pour qu’elle le lui souhaite mais elle n’était plus au lit. Lorsque la porte de l’appartement claqua avec férocité il se demanda ce qu’elle lui reprochait ce matin-là, hormis une nouvelle dizaine en pleine tronche.

Le temps de se fringuer en trentenaire, Gabriel était descendu faire un petit tour au salon mais, à part des variations sarcastiques sur le thème du mari de la coiffeuse, il ne récolta rien, ni vœux, ni patronne.
– Elle a prévenu depuis plusieurs jours qu’on la verrait pas aujourd’hui.
– Ah, elle prépare sa surprise ! fit Gabriel histoire d’avoir l’air au courant.
– Pour une surprise… lâcha l’apprentie avant de se prendre un coup de séchoir dans les côtes.
A la Sainte-Scolasse les habitués avaient leurs habitudes, les journaux séjournaient sous le bar, Vlad était en vladrouille, Gérard bougonnait et Maria matait Gabriel d’un air d’infinie réprobation. Il tenta tout de même une salutation joyeuse mais n’écopa en guise de formule de vœux rituelle que de regards noirs ou indifférents. Dégoûté, avec l’impression d’avoir été mis en quarantaine, il alla traîner du côté de la péniche de Pedro.
Il le croisa sur l’embarcadère en train de grimper sur un vieux vélo rouillé.
– Regarde dans les soutes, endroit habituel, y a des papiers et un flingue pour toi.
– C’est mon anniversaire, lâcha quand même Gabriel.
– C’est mon cadeau. Salut Poulpito, mais tu ferais mieux de calmer la chasse.
Pedro s’éloigna dans un concert de grincements tandis que Gabriel shootait dans une boîte qui avait eu la mauvaise idée de traîner par là.
Des parents concassés version César, une régulière qui fait la tronche, des maîtresses comme s’il en pleuvait mais dont aucune n’était retombée à Paris récemment et pas un seul ami d’enfance rescapé des épisodes précédents pour l’aider à passer le cap.
– Merde, quarante ans, y a pas de doute, ça fait fuir ! pesta le Poulpe.
Il renonça à la compagnie d’un chien errant et retourna se lover dans l’odeur de Chéryl, s’incrustant de force au cœur de la partouze des nounours. Titillé par la langue de feu synthétique d’un dragon rose layette, il décida qu’il y avait des jours où il ne valait mieux pas sortir du lit tout en attendant la tuile.
Chéryl le réveilla en lui balançant sous le nez un papier estampillé labo avec “positif” surligné en rose.
– Positif ? Quoi positif ? T’as quand même pas chopé le sida ???
– C’est un test de grossesse.
– Génial ! Enfin non, je veux dire : tu vas quand même pas parler de le garder ?
– J’ai avorté tout à l’heure. Cadeau pour tes quarante ans, mais je te préviens la prochaine fois j’accouche.
– Demande-moi au moins mon avis !
– T’assumes ou tu te tires. Il est temps de grandir Gabriel.
– Putain d’anniversaire ! fit encore le poulpe avant de se prendre en pleine tronche une peluche en mal d’adoption.

Comments are closed.